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paris

 

– L’engagement –

Un autre horizon s’invite qui n’était pas prévu. Un coup de gueule. Un pavé dans la mare, l’engagement militant d’une femme peintre. Christelle Labourgade. Délaissant pour un temps ses pinceaux et ses pastels, elle se fait urgentiste avec la pierre noire et le fusain. En refusant la fatalité qui mène trop vite à l’indifférence, elle met son métier au service d’une cause, celle de l’abandon des migrants. De l’art? Oui aussi, car dans la violence du propos elle convoque la beauté, celle qui advient lorsque l’art empoigne la réalité d’une tragédie pour la traverser, la travailler, la sublimer, lui donner une voix. Le charbon du fusain attaque le blanc du papier jusqu’à le faire disparaître, et trace noir sur noir un drame silencieux. Les plis et replis de vêtements informes, à bout d’usure, disent la dignité mise à mal avec la pudeur du respect. Employons les grands mots, elle rend à ces femmes, ces hommes, à ces enfants leur humanité. Christelle Labourgade nous précipite dans le dur d’une certaine condition humaine. Son temps est celui de l’inacceptable et de l’éternel retour de ceux qui ont perdu leur horizon.

Sabine Puget
Exposition « horizon(s) »

Christelle labourgade c’est d’abord une rencontre, elle débarque dans votre vie sans armes ni bagages avec son regard d’enfant, étoilé, rieur, écarquillé pour s‘émerveiller de l’altérité du monde. Choix et hasards l’ont menée sur tous les continents abattant ainsi les frontières entre elle et les hommes. Elle raconte des histoires, celles qu’elle a vécues, celles qu’on lui a confiées, celles qui sont devenues légendes de sa propre histoire. Ses mots étreignent la réalité et engagent le combat, son combat,  contre l’injustice, la violence, l’inacceptable.  Christelle Labourgade est une indignée, on pourrait dire de naissance, et ajouter que le monde tel qu’il est lui offre de quoi faire !

Elle est peintre, de paysages, de Venise, de ciels,  de rencontres, de traversées, d’émotions. Ce monde là est en couleurs, il est un hymne à la vie. Un autre versant se découvre, de fusain et de pierre noire, il est un lanceur d’alertes pour interpeller nos habitudes de joggers-zappeurs aux courses rapides et aveugles à la réalité dérangeante.

Les sans-abri, les migrants, les rejetés, les sans nom, trop vite réduits à des quotas et à des centres de tri, tous ceux dont on craint de voir se tendre la main, tous ceux qui se jettent sous les roues de notre confort, tous ceux qui meurent sans crier, elle leur donne refuge sur ses fresques de papier. Se saisissant de leurs visages de femmes et d’hommes, elle les reconnaît, leur donne un nom, le nôtre,  leur ouvre à nouveau un destin. C’est là sa croisade, son théâtre de rue, sa mise en abîme d’une révolte qui n’a de fin que dans l’accueil, le secours, le soulagement. Ce qui a été brisé se répare, les défaites ne conduisent pas toutes à la capitulation, Christelle Labourgade ne trouve jamais de murs assez grands pour nous interpeller, elle est dans la tradition de ces artistes toujours engagés qui depuis la nuit des temps s’emparent de tous les lieux visibles pour que personne, jamais plus, ne puisse dire « je ne savais pas ! »

Une traversée du regard ! Femmes, hommes, enfants apparaissent, poussés irrésistiblement par leur volonté d’échapper à la destruction programmée, de dire non à la fatalité. Christelle Labourgade les relaie, son dessin les arrache à la profondeur charbonneuse de leur angoisse. Pour qu’ils ne tombent pas elle les appuie les uns aux autres ; compacts, solidaires, ils ont  la puissance d’une déferlante, celle des peuples en exil,  avec « pour seul cortège » la volonté de passer de l’autre côté du cauchemar. L’aube est là à portée de bras, ils croient en avoir aperçu la lueur. .

L’art a toujours été haï et craint par celui qui veut exercer le pouvoir par la force. Pourquoi ? Parce que l’art possède en son mystère un pouvoir plus vaste que le pouvoir terrestre.

Ce pouvoir, c’est l’injustice. L’injustice qui le protège de ceux qui voudraient le contrôler. Pour contrôler quelque chose, il faut la connaître et pour la connaître, savoir la définir.

Mais l’art est indéfinissable. Il échappe à tout contrôle, à tout jugement de valeur. Il bénéficie de l’injustice dont il est souvent victime sans se rendre compte que cette injustice garantit sa liberté.

Louis Jouvet a dit un jour que l’art obéissait à des règles extrêmement strictes que nous ne connaissions pas. Il a ajouté qu’en matière artistique, un succès était un échec qui avait mal tourné.

Il voulait ainsi dire que l’art, en échappant à toutes les règles imposées par l’homme, possédait par là même une liberté absolue que le pouvoir terrestre a toujours cherché à juguler sans y parvenir pour la simple raison que l’art  échappe à quelque définition que ce soit.

Un artiste, c’est d’abord un mystère, parfois un martyre, jamais un mythe.

« Les Ombres » en est un exemple. Pas de quête, pas d’apitoiement, pas de colère dans cette composition, mais de la tragédie absolue. La lumière sombre nous accuse sans le vouloir, la lumière vive qui éclaire les visages nous accuse plus encore car ces visages n‘expriment ni la haine, ni la menace ni même la souffrance, mais pire encore, ils expriment la vie. Une vie qui leur est interdite par la faillite des sociétés dites évoluées, un vie derrière laquelle transparait un avenir qui leur est confisqué et qui pourtant pourrait être la richesse de demain.

En réalité, les ombres, c’est nous, c’est la mémoire perdue, c’est l’ignorance et le refus de l’autre. C’est nous qui marchons comme des ombres, pas eux.

Et les grands artistes, ce sont ceux qui ont le pouvoir d‘exprimer l’indicible.

Pierre Boutron

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© Rafäelle Labourgade X Senzoo 2021